Il est certain que la civilisation, ou plus exactement la forme de civilisation qui est la nôtre est cause de bien des malheurs. Bravo à ceux qui osent le dénoncer.
Le principal reste pourtant d'expliquer pourquoi la civilisation a évolué comme elle l'a fait. Il serait un peu facile de porter plainte contre X et d'accuser des volontés délibérées qui auraient visé à enfermer les peuples dans une forme d'exploitation ou une autre. Le complotisme a ses limites, même s'il existe dans certains cas. Les forces auxquelles on se heurte lorsqu'on veut infléchir le destin des grands nombres sont telles que quelques particuliers ne peuvent pas agir arbitrairement. Les grands révolutionnaires ont toujours été plus les instruments que les faiseurs de l'histoire.
Quelques facteurs manquent aujourd'hui aux archéologues et aux historiens pour comprendre l'évolution dont nous sommes le point d'aboutissement. Vous l'avez deviné : il s'agit des changements d'alimentation survenus depuis le néolithique et de leurs conséquences multiples. Il y a d'abord les effets agro-économiques d'une nouvelle agriculture appelée à répondre aux nouveaux besoins. Il a fallu abattre des surfaces de forêt de plus en plus importantes pour cultiver les tubercules et surtout les céréales, ou pour créer des pâturages répondant à la consommation du lait et de la viande. Les cultivateurs, contrairement aux nomades, ont dû protéger leurs récoltes et former des agglomérations de plus en plus importantes. Ainsi se seraient installés le sens de la propriété, et la tentation du pillage, débouchant sur le développement des armes et la généralisation de la guerre. De la convivialité des premiers villages, on est passé à l'anonymat des grandes villes, avec leurs conséquences en termes de consommation, de promiscuité et de pollution, mais aussi de politique et de créativité artistique.
À la clé de cette évolution, on trouve effectivement le passage du cru au cuit. Sans cuisson ni préparation des aliments, jamais la consommation des céréales et de la viande ne se serait imposée comme elle l'a fait au cours des derniers millénaires, sans l'art de la fromagerie, l'usage du lait serait resté marginal. Mais d'autres mécanismes sont venus compliquer le processus de civilisation : l'action des nouveaux aliments sur le fonctionnement psychique.
Il n'y a eu, à ma connaissance, qu'un seul article scientifique pour dénoncer cette influence physiopsychologique du changement d'alimentation sur le processus d'urbanisation. Deux chercheurs australiens ont cherché son origine dans une modification du fonctionnement cérébrale sous l'effet du gluten, les protéines des céréales et tout particulièrement du blé, et des exorphines du lait. Les individus auraient eu un besoin accru de se sentir protégés et de se regrouper.
Lors de leurs recherches, ces chercheurs ne semblent pas avoir eu connaissance de la notion d'automatismes mentaux, c'est-à-dire d'auto-excitation de certaines zones cérébrales qui s'autonomisent et imposent des pensées étrangères au moi normal. Les changements psychologiques que j'ai pu observer lors du passage à l'instincto ont rapidement, déjà dans les années 60, attiré mon attention sur l'action excitatrice de l'alimentation conventionnelle. Les tendances obsessionnelles poussant à se faire du souci pour des questions sans grande importance, l'excitation sexuelle conduisant au besoin d'exonération chez l'homme, la difficulté de contrôler des pensées négatives avaient fait place en quelques semaines à un état de sérénité remarquable.
En bon électronicien, j'ai alors imagé le phénomène sous forme de circuit à feed-back positif, comme c'est le cas dans l'effet Larsen : lorsqu'on pousse l'amplification trop loin, le signal émis par le haut-parleur excite le microphone, qui l'amplifie encore une fois de sorte que le processus s'emballe et que l' installation de sonorisation se met à hurler et on dit, dans le jargon du métier, qu'elle accroche. Un même phénomène est en effet possible dans le cerveau, sachant que les circuits neuronaux présentent de nombreuses rétroactions. Une excitabilité excessive des neurones pourra de toute évidence entraîner des situations d'auto-excitation que j'ai nommées "accrochage".
Voilà qui expliquait ce que nous observions régulièrement : lorsque les premiers instinctos de l'époque faisaient des exceptions, ils changeaient manifestement de personnalité, comme s'il étaient possédés par des forces incontrôlables, auxquelles ils s'identifiaient complètement. Il est en effet très difficile de s'apercevoir qu'on "accroche" : cela se remarque à un mauvais sommeil, des rêves désordonnés, une montée de l'impatience et de l’irritabilité, parfois des colères ou des fourires irrépressibles, mais aussi à des angoisses et un besoin de sécurisation accrus, une plus grande tendance au sentiment d'abandon et à la recherche de protection, sans compter un besoin de réalisation sexuelle plus mécanique et obsédant.
Les automatismes mentaux font partie intégrante de la schizophrénie. Le schizophrène est en effet partagé entre des pensées et des envies contradictoires qui provoquent ce que l'on appelle le morcellement. On peut donc dire sans risque de se tromper que la cuisine a fait croître le niveau général de la tendance schizoïde. Notre civilisation culinaire tient donc plus d'un processus psychopathologique à grande échelle que d'un phénomène naturel. Il n'y a dès lors plus à s'étonner qu'elle soit pétrie de contradictions internes, d'angoisses et de haines poussant les individus à se rassembler, de menaces et de cupidités instaurant la militarisation, de frustrations et de revendications empoisonnant le climat social.
Mais ce n'est encore pas là le principal effet de l'art culinaire : sous l'effet de l'accrochage, la sexualité change de nature. Les pulsions partielles prennent le pas sur la sensibilité aux énergies subtiles qui devraient piloter le comportement. Il reste bien sûr la part reproductionnelle, liée à notre biologie, mais on perd de vue l'aspect transcendant de l'amour physique. On s'empêtre dans des conduites et des règles morales contre nature, et l'Éros n'atteint plus son but essentiel qu'est le développement de la dimension métapsychique de l'être. Le matérialisme s'installe, comme ce fut le cas déjà chez les Grecs et les Romains, l'existence perd sa signification spirituelle, on remplace la spiritualité authentique par des religions ou des superstitions. Ainsi se brosse tout le tableau de la civilisation telle que nous la connaissons et telle qu'on apprend aux écoliers à la célébrer.
C'est là que s'enracinent le vide existentiel et l'insatisfaction profonde qui alimentent le consumérisme, dont les conséquences écologiques catastrophiques suffisent à dénoncer l'absurdité. Nous n'en sortirons sans doute qu'en remontant aux causes premières de la spirale infernale. Mais combien de temps faudra-t-il pour que l'humanité prenne conscience du cercle vicieux dont elle est prisonnière et qui commence tout bêtement dans la casserole...
Le fameux triptyque "Le Jardin des Délices" de Jérôme Bosch pourrait y contribuer, car il délivre exactement les clés qui rendent à l'amour sa fonction spirituelle... Je profite de l'occasion pour signaler que mon livre "
Jardin des Délices : le Secret du Futur ?" est à nouveau disponible (après avoir été censuré par l'éditeur précédent), ainsi que mon
Essai sur la Théorie de la Métasexualité, et qu'une réimpression de "
Manger Vrai" sous le lien :
www.culture-nature.eu/livres(vous pouvez vous procurer ces livres gratuitement grâce à un système de Diffusion Participative)
[img]https://i.imgur.com/t1Lh1nM.jpg[img]